This article was presented on 27 May 2021 at Siavoushan Centre

Quel est donc cet étrange et scandaleux désir de souffrir qui semble mettre en échec  la profonde tendance de la vie pulsionnelle à se procurer la satisfaction ? Comment douleur et déplaisir, en principe alarmes, gardiens du principe de plaisir peuvent-ils  devenir des buts en soi ? S’ils ne sont plus des avertissements, alors » le principe de plaisir est paralysé et le gardien de notre vie psychique est comme sous l’effet d’un narcotique »

FREUD tentera de répondre à ces épineuses questions   en deux temps qui couvriront 2 décennies. Lente et inexorable montée du masochisme dans l’œuvre de FREUD ; énigme de ce « maudit masochisme »qui va le conduire au cœur de la vie pulsionnelle.

Le masochisme fait son entrée dans l’œuvre de FREUD dés 1905, dans les »trois essais sur la théorie sexuelle » mais c’est en 1924, soit 20 après , que paraitra « le problème économique du Masochisme » «  dans son élaboration la plus achevée.

Outre la remise au travail des » 3 Essais », surchargés de notes et d ‘ajouts au fur et à mesure des élaborations et remaniements qui ont marqué ces 20 années, le problème économique du masochisme sera au cœur de »pulsions et destin des pulsions »(1915), « un enfant est battu »(1919) et « au delà du principe de plaisir »(1920).

La premiére élaboration de FREUD adossée aux «  trois essais »et à sa premiére théorie des pulsions concevait le masochisme comme un renversement du sadisme :l’activité serait renversée en son contraire ,la passivité et la pulsion se retournerait et prendrait pour objet la personne propre .

Le deuxiéme temps de l’élaboration freudienne, amorcé avec « au delà du principe de plaisir » marquera un tournant décisif de la question par la prise en compte de la pulsion de mort comme primordiale et comme fondatrice ; c’est donc avec les armes de la 2éme topique qu’il va s’ouvrir à une nouvelle compréhension : c’est le nouveau dualisme pulsion de vie/pulsion de mort qui va désormais dominer la scène psychique : c’est le masochisme qui est premier il est à situer à l’orée du sujet, qui interroge le réel pulsionnel dans sa duplicité(cf.L’. au delà).

Prendre acte de la pulsion de mort , c’est mettre en place un nouveau dualisme pulsionnel opposant et articulant en même temps pulsions de vie et pulsions de mort, affrontement en même temps que nouage fondamental et ressort de la dynamique subjective.

Ce nouveau dualisme deviendra le socle conceptuel de son œuvre. Ce que note avec beaucoup de justesse JB PONTALIS lorsqu’il écrit : »la thématique de la mort est aussi constitutive de la psychanalyse freudienne que la sexualité ». La pulsion de mort s’est   imposée à FREUD à partir de la réalité observable de la place de la répétition dans la vie psychique et dans la grande histoire ,n’oublions pas que ces élaborations se font dans l’après coup de la guerre et de ses horreurs.

La compulsion de répétition que d’aucun préfère nommer au plus prés de la lettre ‘contrainte de répétition » témoigne d’un résidu inentamable de Thanatos qui échappe au nouage avec les apports libidinaux. Alors que la dynamique subjective résulte du nouage de la liaison d’Eros et de Thanatos, le masochisme serait la trace d’un reliquat interne, partie résiduelle, stase de la pulsion de mort dans le moi qui travaillerait en sourdine à la « destruction de sa propre demeure »

« en prenant son parti d’une certaine inexactitude on peut dire que la pulsion de mort qui est à l’œuvre dans l’organisme est identique au masochisme » écrit FREUD .

Le concept lacanien de jouissance et sa théorie de l’angoisse vont éclairer d’un jour nouveau ce « maudit masochisme », élargissant sa portée bien au delà de la perversion où il avait été longtemps confiné malgré les ouvertures de FREUD.

 Lacan réaffirme le masochisme primaire comme constitutif du Sujet . Il y en effet pour lui un « masochisme primordial » qui est à comprendre comme l’effet de l’aliénation radicale du sujet au langage et à sa prématurité qui le pousse à se faire l’objet de l’Autre, garant de sa survie à l’orée de sa vie . Cette écharde plantée au cœur de la logique du vivant et du principe de plaisir est le prix à payer pour entrer dans la communauté humaine  CELLE DES ËTRES PARLANTS  . Le masochisme ne concerne en effet que l’être parlant, car il est la conséquence de la genése de la parole et de ce qu’elle suppose de mortification qui a pour nom refoulement originaire :perte originaire impossible à récupérer et impossible à oublier : noyau de jouissance opaque indéchiffrable dont l’ombilic du rêve serait le paradigme.

Cette avancée lacanienne a le mérite de rendre lisible  la distinction entre les 2 composantes de la pulsion de mort :d’une part, elle se met en acte comme jouissance tournée vers la Chose et à ce titre mortifère

rejoignant le principe de Nirvana, cad. le retour à l’inanimé, à l’inorganique, retour à la mort originelle, la pulsion retournant vers son origine dans un processus régressif, la 2 éme composante serait la pulsion de destruction, force de rébellion et d’arrachement à la chose et à ce titre gardienne de la vie psychique dés lors qu’elle se noue à la pulsion de vie. L’intrusion de la libido dans la pulsion de mort ouvre la voie à la jouissance phallique et à une jouissance de la tension.

C’est donc adossé au socle de ce masochisme primaire , enrichi du concept lacanien de jouissance que s’étayeront et se déclineront les 3 états du masochisme :

-LE MASOCHISME EROGENE ou JOUISSANCE de la douleur qui représente un mode  d’excitation sexuelle dont  la caractéristique  est d’être un excitant sexuel violent.

-LE MASOCHISME FEMININ ou le consentement passionné  au féminin qui se réfère à une position psychique et non au réel anatomique, homme ou femme du sujet sexué.    En même temps qui est rappelé et convoqué la bisexualité du sujet, FREUD s’y ferait-il précurseur de la « théorie du genre » selon laquelle le féminin se distingue de »l’être femme » ?

-LE MASOCHISME MORAL, ou la souffrance et la jouissance obtenues des coups du sort où on peut entendre derrière ces coups , les coups du père ou de la puissance obscure du destin. L’un et l’autre mettent en jeu le surmoi cruel et jouissif, le »sentiment inconscient de culpabilité,  la compulsion de répétition et interroge la « réaction thérapeutique négative ». 

Ces trois formes observables peuvent ou non  coexister chez un même sujet. Elles ont en commun une même unité structurale : derrière la scène observable, il y a l’écriture du fantasme, et derrière le fantasme, le jeu pulsionnel.

LE MASOCHISME EROGENE OU LA JOUISSANCE DE LA DOULEUR COMME PUISSANT EXCITANT SEXUEL.

On pourrait introduire le masochisme en disant :au début était le corps et avec lui le masochisme originaire, dont le masochisme visible, observable cliniquement ne serait que la post histoire.  Toute la dialectique des 3 masochismes ne prend sens que  de ce que, à l’origine est le masochisme, si l’on ajoute à ce masochisme originel ou masochisme primaire le qualificatif d’érogène, on introduit l’émergence du sexuel dans le corps.

2 concepts doivent être introduits pour prendre la mesure de la question : LA CO-EXCITATION et LA PRESENCE DE L’AUTRE.

La définition de la CO-EXCITATION est contenue dans cette longue citation freudienne : »Il ne se passe rien d’important dans l’organisme qui ne fournisse sa composante à l’excitation sexuelle . La douleur et le déplaisir en tant qu’excitation auraient dés lors le même rôle » plus loin « l’excitation sexuelle se produit comme effet marginal dans toute une série de processus internes  dés lors que l’intensité de ces processus a dépassé certaines limites quantitatives »,. Si tout ébranlement physiologique est immédiatement excitant sexuellement ,il est difficile de distinguer le fonctionnel du pulsionnel .C’est la présence de l’Autre qui permet d’opérer la distinction et de changer de régime de jouissance.

La position du petit d’homme à l’orée de sa vie est  celle « d’une profonde détresse, du sans recours d’un corps plongé dans la tourmente d’une jouissance close, subissant des excitations qui l’assaillent de toutes parts, exposé au tumulte de ses sensations internes.

Dans cette nuit profonde de l’hilflosigkeit ,il  s’agite pour se soulager de l’excitation , mais c’est une voie de décharge motrice totalement en impasse : « toute décharge de ce genre qui n’est en rien la marque d’un Sujet ,est sans issue puisque l’excitation endogène persiste et rétablit aussitôt la tension.

Pour que cette excitation trouve réellement une issue, il faut une intervention extérieure qui opére sur le circuit de l’excitation une coupure ouvrant à un autre régime de la jouissance. La suppression de l’excitation n’est  possible que par « l’action spécifique » d’une aide étrangère, celle de ce 1er Autre(nebenmench) de l’enfant qui se tient à ses côtés pour l’ouvrir à la vie et au monde.

De cette rencontre originaire de l’infans avec son 1er Autre, c’est la libido avec l’érotisation qui vient au corps, » dés lors corps pulsionnel «  et d’un sujet qui advient au prix de cette intrusion, donc un sujet exposé à la jouissance de l’AUTRE

Cette violence faite à l’infans est une injection de signifiants, »l’echo d’un dire dans le corps » tout autant que l’élection de certaines zones du corps, premiéres découpes objectales. 

La mére va privilégier , dans les soins dispensés à son enfant, les lieux du corps qui comptent dans son propre vécu : ainsi naissent et s’inscrivent les zones érogénes, aires de contact entre le dedans et le dehors SUR LESQUELLES SE FIXENT LA JOUISSANCE ; et nous comprenons ainsi que n’importe quel organe puisse devenir zone érogéne, ce que FREUD avait appris de ses hystériques.

Cette soumission du sujet à une jouissance venue de l’Autre éclaire cette position originelle du masochisme dans la sexualité

Une fois le frayage produit, on ne saurait prévoir jusqu’où ça va aller : jeux du corps qui tournent mal où le corps de flirter avec le principe de plaisir (dont nous savons la duplicité) se trouve à un moment donné joui. Je pense à l’anorexique qui commence souvent par des petits régimes pour ressembler aux femmes lianes qui peuplent le papier glacé des revues de mode,  Une fois qu’on y est entré, on ne sait pas jusqu’où ça méne et nous savons que pour certaines, ça peut aller jusqu’aux portes de la mort ; « ça commence par la chatouille et ça finit par la flambée à l’essence » écrit de façon imagée LACAN. Je pense  également aux nombreux cas apportés en supervision par des psychologues ou psychanalystes travaillant en milieu hospitalier, cas de patients ayant subi, soit une agression sans beaucoup de gravité apparente, soit un accident corporel bénin et dont le corps va flamber  de différentes façons :des cicatrisations impossibles à des cancers foudroyants.

Tout cela se produit à l’insu du Sujet tant ce masochisme érogène nous habite et nous constitue. Mais le masochisme érogène comporte aussi la caégorie de ceux qui, consciemment, se mettent en quête de partenaires prêts à leur infliger par et sur le corps, douleurs physiques et humiliations, condition pour eux de l’excitation sexuelle. Nous sommes là dans le registre de la perversion avec ce qui en fait l’essence contractuelle.  Comme si les clauses du contrat étaient là nécessaires pour borner une jouissance envahissante qui pourrait dériver et devenir mortelle. Il s’agit , par le contrat, de fixer des limites à la jouissance tout en jouant avec. C’est parce que ces limites sont fixées  par le contrat qu’on peut en jouer sans trop de risque.

Lire à titre de prémices «  les Confessions » de JJ ROUSSEAU auquel l’amour pour la dame vient par le fouet : il y décrit l’angoisse initiale mêlée à la peur des coups qui s’érotise sous le fouet ; au point que l’angoisse semble disparaître dans la jouissance finale….

Lire ensuite « la vénus à la fourrure » et « wanda ,confession de ma vie » de SACHER MASOCH où se trouve réunis des éléments fétichistes dont la femme doit être pourvue (fourrure et fouet) pour être TOUTE, non castré et le contrat en bonne et due forme, signatures à l’appui qui lie l’esclave et sa « maîtresse »   dont il fera son maître. Le sous-titre de l’œuvre n’est pas sans intérêt : » confessions d’un suprasensuel » supra, terme latin qui signifie au delà, au dessus. SUPRASENSUEL SEMBLE DEVOIR ËTRE ENTENDU COMME une jouissance au delà de la sexualité, ouvrant sur une jouissance presque mystique. Autre particularité à noter, un nom propre devient un nom commun pour nommer une pratique sexuelle, même chose pour SADE ; au delà du tableau clinique achevé que décrivent ces auteurs insiste ceci que les mises en scénes qu’ils décrivent, quelle qu’en soit leurs variantes et leur habillage , obéissent au même fantasme :derriére la scéne observable, il y a l’écriture du fantasme et derriére le fantasme le jeu pulsionnel d’Eros et de Thanatos.

Grammaire particuliére de ce masochisme qui se conjugue à la 3éme voie, la voie moyenne réfléchie qui se caractérise par le retour de l’action sur le sujet, mais une action réalisée par l’autre ce qui la différencie de la voie passive simple : se faire bâilloner, attacher, battre, fouetter, maltraiter, forcer à une obéissance inconditionnelle, souiller, abaisser…Dans toutes ces déclinaisons on note l’arrêt, la suspension du corps, l’attente angoissée, angoisse qui se dissoud dans la jouissance finale,

 tous éléments que nous allons retrouver dans le masochisme féminin et le masochisme moral , ce qui met en lumiére  le caractére nucléaire du masochisme érogène.

LE MASOCHISME FEMININ  OU LE CONSENTEMENT PASSIONNE AU FEMININ QUI SE REFERE A UNE POSITION PSYCHIQUE ET NON AU REEL ANATOMIQUE, HOMME OU FEMME DU SUJET SEXUE.

Le masochisme nous dit FREUD, dans «  le problème économique du masochisme » serait l’expression de « l’être de la femme ». Il réitére en 1932 dans sa conférence sur la féminité en affirmant que le masochisme est authentiquement féminin ; pour soutenir cette affirmation, Freud en homme de son temps écrit, je cite » la répression de son agressivité constitutionnellement prescrite et socialement imposée à la femme , favorise le développement de fortes motions masochistes qui parviennent à lier érotiquement les tendances destructives tournées vers le dedans, c’est ainsi que le masochisme serait authentiquement féminin »

REPRESSION SOCIALE donc, mais aussi ce « CONSTITUTIONNELLEMENT PRESCRITE » qui sonne comme une fatalité dévolue au sexe féminin  forcément meurtri ,souillé , émasculé , amputé dans le réel dont le destin n’aurait d’autre choix que

  l’enfantement dans la douleur.

 Certes la constitution féminine est faite d’attentes propices à la passivité : attente des menstruations, attente de la maternité, durée ineluctable de la gestation, de la lactation , puis temps de l’accouchement, le travail de l’expulsion pendant lequel la femme est agie, jouïe, par un processus qui la dépasse :et d’ailleurs certaines femmes avouent en séance avoir connu dans ce moment et ce temps  de grande  tension  douloureuse une jouissance orgastique d’une violence jamais atteinte auparavant..

FREUD  conclut sa conférence sur » la féminité » sur une interrogation : « faut-il comprendre le masochisme observable chez de très nombreux hommes à partir de traits féminins très marqués ? »

Ou faut-il conclure, comme le suggére LACAN, que Ce masochisme est un fantasme du désir de l’homme , fantasme qui le dédouane de la violence supposée faite à la femme dans l’acte sexuel( ce qui est la vision de l’enfant).

La bisexualité constitutive du sujet est ici convoquée et le brouillage masculin/féminin est à son comble dans ces deux interrogations.

La remarque de LACAN est d’autant plus pertinente que pour décrire le masochisme féminin, FREUD s’appuie uniquement sur des fantasmes rapportés par des hommes, fréquemment impuissants.  Ce que  la quotidienneté de notre clinique ordinaire confirme abondamment.

Que le masochisme dit féminin se trouve illustré par des cas d’hommes masochistes constitue la vérité clinique paradoxale du masochisme ; mais essayons de mettre un peu d’ordre.

«  le masochiste veut être traité comme un petit enfant, un petit enfant méchantsouligne FREUD Cette formulation m’amène à faire 2 remarques : cette confusion entre le féminin et l’infantile ne serait elle pas une réédition de la prématurité du petit d’homme et de sa dépendance vis à vis de l’Autre dans un infantile et féminin confondus ?Dans le modèle masochiste masculin en occupant une position infantile auprés d’une femme, l’homme sauverait une possible relation à la femme, à la limite de l’hétérosexualité ; en même temps qu’il permet à la jouissance masochiste de se satisfaire.

La 2eme remarque porte sur la méchanceté, cette  méchanceté qui est au cœur du fantasme : »on bat un enfant ».  Si l’agressivité chez l’enfant représente un mouvement de conquête du monde, comme la volonté de grandir en se séparant,( c’est le moment de la découverte et de la pratique de l’onanisme), la méchanceté à ce stade semble être un appel au pére punitif, ce qui nous amène du côté de l’oedipe .

Tout au long de son œuvre FREUD tentera de distinguer le féminin du masculin ; malgré tous ses efforts, il reconnaît tourner en rond. Ne serait ce pas parcequ’il traque l’essence du masculin ou du féminin alors qu’il ne s’agit pas d’essence, mais de position subjective par rapport à l’enjeu  phallique ?  Telle est la solution et le formidable éclairage résolutif que LACAN apportera au probléme en formulant que la femme n’est pas toute entiére soumise à la logique phallique ; il fera un pas de plus  avec les formules de la sexuation, dont l’opérateur sera la logique phallique : ceux et celles qui se soumettent à  la stricte logique phallique seront côté Homme quelque soit leur sexe anatomique ; ceux et celles qui ne sont pas tout soumis à cette logique se rangeront du côté femme quelque soit leur sexe anatomique.

Essentiellement infantile, ce masochisme féminin et ses chassés-croisés masculin, féminin nous conduit à la question centrale de l’oedipe et de sa  résolution .  L’hypothèse d’un oedipe inversé à l’origine de l’entrée de l’homme dans le masochisme féminin semble tout à fait pertinente. L’oedipe inversé consistant en l’attrait sexuel pour le parent du même sexe, le petit garçon  est confronté dans son rapport au père à une double tension, active et agressive dans le cadre de la rivalité ,mais aussi passive dans la demande d’amour adressée au pére , le petit oedipe encourt la féminisation dés que la demande d’amour l’emporte sur la motion de rivalité virile. C’est la fixation à ce fantasme infantile d’être possédé par le pére, d’être sa chose, sa femme –objet qui déterminera à l’âge adulte, la prégnance d’une position masochiste dans sa relation avec ses partenaires masculins ; autrement dit, la menace de castration et l’angoisse qui y préside : angoisse d’être abusé et de perdre sa virilité, sera imaginairement réalisée dans chaque échange avec les hommes. 

Nombre d’entre eux se cabrent contre toute passivité envers un autre homme en même temps qu’ils présentent un » comportement masochiste avec la femme, en particulier, leur femme dans le conjungo  qui va jusqu’à la sujétion » . L’amour courtois  ouvre un chapitre passionant sur ces orants du féminin. C’est en pointant la résistance de l’homme à la guérison par un autre homme que FREUD fait ce constat.

Sur cet infantile, je voudrais vous lire un passage de Freud »même un mariage n’est pas assuré avant que la femme ne soit parvenue, à faire, du mari aussi,   son enfant et à se comporter vis à vis de lui en mére ». c’est bien une réflexion d’homme  de son temps et je ne suis pas sûre qu’une femme  et un couple y trouve son compte la maternité et le féminin  étant, ce que la clinique nous enseigne tous les jours ,dans un rapport antagoniste et contrarié.  

Du coté femme, certes des positions masochiques sont repérables, dans l’oedipe inversé ::la fille devenue adulte reste fixée à la plainte, à la demande  d’amour adressée à la mére qui n’en donne jamais assez ou  au don d’amour fait à cette même mére qui reste toujours insatisfaite et n’en n’a jamais assez : c’est le ravage mére-fille dans une jouissance de la plainte où elles s’abiment toutes deux « en miroir »: lire la correspondance de Mme de SEVIGNE à sa fille et les somatisations alternatives qui les accablent à tour de rôle .

Si  un masochisme de bon aloi est  certes nécessaire  à la fille pour entrer pleinement dans l,’oedipe, tout entiére animée par le désir d’être possédée par le pére afin de devenir sa chose et de se faire 

 l’objet de son amour  pour la jouissance de l ‘Autre‘. C’est un pére donateur détenteur des attributs phalliques qui intéresse  le désir  comme la jouissance de la fille Certaines resteront   leur vie durant suspendues, fixées à cette position s’épuisant et s’éreintant à se faire l’instrument de cette jouissance de l’Autre , à l’instar des mystiques qui en témoignent si bien.

Et pourtant si avec son partenaire sexuel l elle peut accepter quelques sévices et violence , ça ne me semble pas être dans une position masochiste sacrificielle et de renoncement. CE MASOCHISME EROTIQUE ME SEMBLE au contraire être au service d ‘une autre cause, celle d’une  conquête : il s’agit d’une jouissance qui ne s’encre dans le phallique que pour en franchir les limites côute que côute afin  de rencontrer sa féminité, et de s’ouvrir au féminin en elle. Au delà du phallique, le féminin.

C’est cette jouissance là au delà du phallique que FREUD a raté pour l’avoir confondu avec ce qu’il a nommé : » masochisme féminin «.

LE   MASOCHISME MORAL : LA DOULEUR MORALE (DANS SA VERSION FREUDIENNE) OU LA PASSION DE SE FAIRE L’OBJET DE LA JOUISSANCE DE L’AUTRE

Le masochisme moral est des 3 Masochismes celui qui donne l’illusion d’être le plus civilisé , l’expression la plus sublimée du masochisme érogène primaire tant la pulsion sexuelle y semble réprimée voire absente.  Et pourtant nous verrons combien dans son expression la plus pure , il n’est que jouissance débridée. Ce masochisme, lieu exemplaire de la répétition travaille en sourdine, se reconduit « Encore et Encore » sans jamais s’avouer comme tel. Il a une maîtresse cachée à laquelle il est passionnément attaché : la douleur , la douleur est cet objet qui ne saurait manquer, « l’absolu du besoin ». 

La référence au passionnel est un rappel à la formidable ténacité avec laquelle le masochiste moral s’accroche, se cramponne à sa souffrance. Quelle que soit la demande apparente d’en être soulagé, la jouissance secréte qu’il tire de son malheur est certainement un des aspects les plus difficile à appréhender.

Sa quête inconsciente de la souffrance, le masochiste  moral  peut la poursuivre  auprés d’une personne aimée ou de son ou sa partenaire élu, mais plus fréquemment,( et c’est ce qui en fait la caractéristique et la différence avec les formes de masochismes que nous avons abordé ) ce sont de rapports impersonnels qu’il la guette et l’attend , d’un grand AUTRE anonyme  dirions nous en terme lacanien.

L’essentiel étant pour lui de se placer sous les coups de ce grand AUTRE qui prend la figure invisible du destin ; mais derriére les coups du sort, ce sont les coups du pére qui se font entendre et résonnent, et surtout peut être quand ils ont fait défaut. Et les coups durs frappent : leur vie est un drame dont l’acte final est un échec ; un malheur chronicisé.

Du ravage qui traverse et dévaste l’existence du masochiste moral, FREUD nous en décrit les manifestations cliniques :

_Tomber dans le malheur d’un mariage malheureux, dont il se garde bien de sortir. Et si par hasard il s’y risque, c’est pour trouver pire.

-sombrer dans la banqueroute financière ou se mettre dans les embarras financiers où prolifèrent impayés, interdits bancaires, endettement qui paralyse tout mouvement.

-Etre affecté par une maladie graves ou par des »pépins » de santé récidivants. Faire de son corps le souffre-douleur de l’AUTRE et continuer ainsi à jouir.

De nombreux masochistes de ce 3éme type ne voient que l’amour comme remède à leur malheur et à l’angoisse qui l’accompagne, un amour qui pourrait tenir en respect cette pulsion de mort qui est là à l’œuvre ; quête immodéré d’amour  donc qui prend la forme d’une revendication torturante et quérulente pour ceux auxquels elle s’adresse, ce qui les rend insupportables. On retrouve ici le petit enfant méchant déjà entrevu. 

Condamné à perpétuité par ce qui apparaît comme un tribunal de la vie, le masochiste « , plein de bonne volonté et qui aspire au bonheur, comme tout un chacun, ressent la brûlure vive de la douleur dont il se plaint amèrement ; c’est précisément au cœur de cette plainte que se déploie la jouissance : auto-reproches persécutants ruminés en boucle, pensées obsédantes, véritables convictions masochistes  dont le sujet se fustige , tel le franciscain tentant d’expier par la flagellation ses pensées coupables, continuant ainsi à jouÏr de ses désirs tabous , « enfant  battu » jusqu’à la maltraitance.

Qu’est ce que l’essence du fantasme masochiste ?  s’interroge LACAN à propos de « l’enfant battu » ? « C’est la représentation par le sujet d’une série d’expériences imaginées qui suivent une pente dont le versant, le rivage, la limite tient essentiellement en ceci qu’il est purement et simplement traité comme une chose, comme quelque chose qui, à la limite, se marchande, se vend, se maltraite , est annulé dans toute espéce de possibilité votive de se saisir comme autonome. Il est traité comme un chien et non pas n’importe quel chien, un chien qu’on maltraite, et précisément comme un chien déjà maltraité »

Comment expliquer cette » marche forcée » qui pousse le masochiste à sa perte dans une fuite en avant vertigineuse ? « carte forcée » écrit LACAN ; forcée par qui ? et pourquoi ?

Ces questions nous mènent du côté d’une culpabilité inconsciente, activée par un surmoi cruel et intraitable. Mais pourquoi ce ravage , alors que nous savons et admettons qu’un fantasme  de culpabilité est au cœur de tout sujet :à cause du corps érogène, réservoir pulsionnel qui pousse de poussée constante, à cause d’une sexualité coupable née sous l’égide de  l‘onanisme, à cause de cette culpabilité originaire qui surgit dés que je tente de me démarquer du désir de l’AUTRE pour exister comme sujet .

Quel « deus ex machina » machine cette culpabilité ordinaire en culpabilité morbide qui ne se sait pas et qui ne se trahit mais pour mieux se masquer, que dans la punition et les échecs ?Force est d’y reconnaître le travail d’un surmoi archaÏque ,le »saboteur interne » comme le nomme LACAN, celui qui commande de jouïr afin de libérer un pulsionnel qui va droit vers la jouissance incestueuse. C’est lui qui est aux commandes et non le surmoi secondaire ,éthique et pacificateur, gain de la traversée de l’oedipe et de sa résolution.

Nous avons noté à propos du masochisme féminin, les démêlés des masochistes avec la castration symbolique. La non résolution de l’Œdipe enraye son déclin et laisse le champ libre à la castration imaginaire. Le désir est maintenu dans l’ombre oedipienne préservant ainsi une part de jouissance incestueuse qui ne se sait pas ;lE SUJET SE FIGE ET SE FIXE DANS UNE CULPABILITE dont une grande partie reste inconsciente, voire déniée ; Sous le coup d’une angoisse oppréssante il se précipite vers l’acte punitif, sorte de passage à l’acte qui court-circuite le temps de subjectivation de la culpabilité, qui, restée inconsciente sera d’autant plus active et virulente.

C’est cette culpabilité inconsciente qui contraint le moi masochiste à se soumettre, un moi qui se repaît  de sa propre destruction et active en retour la férocité du bourreau « encore et encore »

 .

Le moi masochiste jouit d’une douleur que son besoin de punition réclame. FREUD nous en indique le ressort caché : »par le masochisme moral, c’est la morale qui est resexualisée, le complexe d’oedipe ressucité, réactivé, une voie régressive est frayée de la morale au complexe d’Œdipe ».

Ce masochisme moral, nous venons de le décrire à l’œuvre sur la scéne  intrasubjective , mais il  l’est également sur la scène du monde où le même fantasme le porte. Ce même fantasme vient animer la scéne analytique jusqu’au moment où il se défait et où surgit le Réel, un réel qui se joue en direct au travers de la réaction thérapeutique négative, expression clinique majeure du masochisme moral. Le fantasme est désinvesti au profit de la perception envahissante du cortége de maladies, de ruptures de vie, de catastrophes qui obstruent  le champ . JD. NASIO voit dans la réaction thérapeutique négative une des figures des formations de l’objet « a » c’est à dire une jouissance compacte, forme qu’emprunte le jouir . La RTN ‘est une entité qui se suffit à elle même ; la chaine signifiante se défait : il n’y a plus de signifiant qui renvoie à un autre signifiant . L’inconscient se tait, il ne répond plus. Le désir du psychanalyste est là mis à rude épreuve, à l’épreuve de la pulsion de mort, car la RTN  semble bien être l’expression du terrifiant pouvoir de déliaison de la pulsion de mort.

Ecoutons FREUD dans « analyse avec fin, analyse sans fin »  deux ans avant sa mort :

« Il n’est pas d’impression émanant des résistances lors du travail analytique qui soit plus puissant que celle donnée par une force qui se défend contre la guérison par tous les moyens et veut absolument s’accrocher à la maladie et à la souffrance . Une partie de cette force est identifié à un besoin de punition et localisée dans la relation du Moi au Surmoi. Si l’on considére dans son ensemble le tableau dans lequel se rassemblent les manifestations du masochisme immanent de tant de personnes, celle de la RTN en particukier, on ne pourra plus resté attaché à la croyance que le cours des événements psychiques est exclusivement dominé par l’aspiration au plaisir. Ces phénomènes sont les indices indéniables de l’existence dans la vie de l’âme d’une puissance que d’après ses buts, nous appelons pulsion d’agression  ou de destruction et que nous dérivons de l’originaire pulsion de mort ».

Pour ne pas terminer sur une note pessimiste , je voudrais terminer sur la place significative de l’analyse et de l’analyste dans son acte dans cette clinique du masochisme . Si, comme j’ai tenté de le suggérer, c’est la non résolution de l’oedipe et le ratage de la castration symbolique ou son inachèvement qui est en cause, comme l’a très joliement exprimé HG : « c’est la castration qui fait douleur, alors le masochiste fait douleur, pour faire castration »

Le transfert dans la cure pourrait le délivrer du service  éreintant à l’AUTRE auquel , nous l’avons vu,il se » voue ; l’ascèse de la cure, en faisant place au pére symbolique pourrait  permettre à certains de ces patients de passer de la figure terrifiante du surmoi archaïque que chaque petit d’homme doit affronter pour grandir à la figure apprivoisée, pacifiée du pére sous forme d’œuvre à accomplir , dans le pouvoir de…faire……… en lieu et place du prix exorbitant payé en y allant de son corps ou en se faisant l’objet terrifié de l’Autre.

Notre actualité sociétale du »pousse à la jouissance » qui fait miroiter un Eden pulsionnel possible , me semble intensifier les rapports de force entre Eros et Thanatos ; elle induit un masochisme hard de victimisation généralisé et un exhibitionnisme du malheur  qui sont audibles sur la scène analytique dans le même temps que la barbarie et la mort éclatent sur la scène du monde.

Le masochisme enfin est une pathologie dangereuse au niveau collectif, car les masochistes ont tendance à faire masse, candidats idéaux à la servitude volontaire, ils forment les bataillons en tous genres au service de leaders qui savent réveiller les ressorts de l’aliénation fondamentale cette ‘bouillie originaire » dont nous parle FREUD. La foule des masochistes suit toujours avec entrain tout tyran de passage, surtout s’il réclame un sacrifice .

Geneviève VIALET-BIGNE