This article was presented on 9 December 2019 at Siavoushan Centre

Il est nécessaire, lorque l’on parle de l’hystérie, de commencer par la situer dans

son actualité. C’est ce que je vais faire aujourd’hui et je parlerai une prochaine

fois de l’hystérie plus spécifiquement masculine, si vous le souhaitez

Et, tout d’abord, je veux vous remercier de me donner l’occasion de parler avec

vous d’hystérie, car, ce faisant, nous ressemblons un peu aux derniers des

Mohicans. En effet, il n’y a plus guère aujourd’hui que la psychanalyse pour

reconnaître à l’hystérique une place dans le monde, et pour l’accompagner dans

ses formes les plus contemporaines. On entend dire ça et là que l’hystérie

n’existerait plus, plus de névrose, et plus d’hystérique non plus. Ce que notre

clinique quotidienne de psychanalyste dément amplement. Mais, le terme a,

depuis peu, disparu de la nomenclature psychiatrique. Depuis peu, car les

quelques décennies d’existence des différentes moutures du DSM qui l’ont

supprimée de sa classification sont très courtes au regard des quatre millénaires

pendant lesquels le discours médical a abrité l’hystérie, l’a nommée, et à

chercher sans relâche à donner sens à des symptômes qui pourtant, étaient

particulièrement énigmatiques et paradoxaux pour le savoir médical.

Car, avec l’hystérie, c’est le corps qui, d’abord, s’est affiché. Et, il s’est

affiché dans une géographie symptomatique totalement aberrante, eu égard à la

physiologie, à l’anatomie et au savoir médical. On peut dire qu’à toute époque,

le corps de l’hystérique a constitué un défi pour le savoir établi, soit-il celui du

médecin, du prêtre, du gourou, voire, plus récemment, celui du psychanalyste.

Et cela dure depuis presque la nuit des temps. Ainsi de l’existence de

papyrus égyptiens relatant des cas de symptômes somatiques féminins touchant

la vue de la malade mais attribués par le médecin de l’époque à la fureur d’un

utérus qui ne reste pas en place parce qu’il serait en mal de satisfaction sexuelle,

jusqu’à plus près de nous, la « passion de comprendre » de Charcot. Rappelons

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aussi Hippocrate qui inventa le terme (en référence à l’utérus), Galien qui, en

fixant l’utérus à sa place, étendit le mal aussi aux hommes. Puis Paracelse et

Ambroise Paré qui la ramenèrent dans le giron de la médecine, elle qui, un

temps, celui de l’inquisition, s’était égarée dans la possession démoniaque. Puis

Pinel, Lasègue et tous les autres, tous ces grands maîtres de la médecine qui se

sont laissé prendre au désir de savoir suscité par l’étrangeté des symptômes

hystériques. Le point commun de tous ces grands hommes est d’avoir interprété

les symptômes de leurs patientes comme la manifestation d’une insatisfaction

venant du sexe. Exigence de l’organe plutôt que du sujet. D’où leur

empressement à vouloir éradiquer le symptôme, en inventant, au cours des

siècles, tout un arsenal d’instruments comme les « pièges à utérus »

d’Hippocrate ou le « compresseur ovarien » de Charcot et tout un arsenal de

traitements (dont le fameux coït à répétition que presque tous les médecins ont

préconisé) destinés à calmer l’organe en lui donnant une satisfaction de

substitution bien phallique. On peut dire que tous ces remèdes dont certains nous

semblent, vus d’aujourd’hui, très farfelus, avaient pour seul but de faire entrer

dans le rang de la « norme » le dérèglement d’une jouissance qui déborde de

toute part et qui manifeste son excès par un déchaînement de l’organe.

L’un des traits de l’hystérie, c’est donc d’abord l’apparition de symptômes

absolument atypiques qui affectent le corps ou l’esprit du patient. Des

« évènements de corps » qui le secoue comme lors des grandes crises présentées

par Charcot, et qui objectent à toute logique anatomique ou physiologique. Car,

non seulement, le plus souvent le médecin constate qu’il n’existe pas de cause

organiques au mal, mais en plus, les symptômes, sitôt qu’on veut les guérir,

présentent une plasticité illimitée ou se déplacent sur le corps très rapidement,

parfois les deux en même temps. Sitôt l’on penserait l’avoir définie par sa

symptomatologie, l’hystérie s’échappe de cette définition. Ce constat avait

énormément frappé Lasègue, grand savant français du 19eme siècle dont la

rencontre avec les hystériques de la Salpêtrière à Paris fut décisive pour

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embrasser une carrière de médecin et qui finit par écrire dans ses Etudes

médicales: « La définition de l’hystérie n’a jamais été donnée et ne le sera

jamais. Les symptômes n’en sont ni assez constants, ni assez conformes, ni

assez égaux en durée et en intensité pour qu’un même type descriptif puisse les

comporté tous. » 1 C’était à la fin du 19eme siècle juste avant que Charcot

s’illustre durablement par son intérêt irrépressible pour les hystériques

rencontrées également à la Salpêtrière. C’est au cours de ses «Présentations de

malades » du vendredi matin et ses « Leçons » du mardi soir auxquelles il

participa que Freud se passionna lui-aussi pour l’énigme et le défi que constitue

toutes les sortes de manifestations hystériques pour le savoir médical.

Mais, le nouveau, avec Freud, fut de reconnaître dans ce mystère du corps, le

mystère d’un corps parlant. L’hystérie démontre que le corps se met à parler là

où le sujet est privé de sa parole. Freud, en « consentant » 2 à laisser la parole à

ses patientes hystériques se mit à les écouter, et à se laisser enseigner par elles.

On connaît la suite, la découverte du sens sexuel du symptôme comme message

chiffré venant de l’inconscient mais aussi d’une dimension inédite du

symptôme: sa fonction de jouissance pour le sujet.

Ce qui a donc été totalement nouveau avec Freud, c’est d’avoir inféré une cause

inconsciente au symptôme. Il a déchiffré le désir inconscient au cœur même du

symptôme hystérique, un désir insu du sujet lui-même parce qu’incestueux. Le

sujet ne peut que refouler ce désir tant il n’en veut pas. C’est un désir qu’un

sujet ne peut pas reconnaître pour sien, sinon à faire une analyse.

C’est ainsi que, dans sa complaisance à offrir au thérapeute le paradoxe de ses

symptômes, le sujet hystérique se fait lui aussi théoricien, mais théoricien d’un

savoir qui fait appel au corps, certes, mais pas au corps organique étudié par la

médecine. C’est ce savoir là que le sujet réfute. Tous ces symptômes, cécité

1 Lasègue : « Hystéries périphériques » dans Etudes Médicales, tome 2, Paris 1878, p.78

2 Freud : Etudes sur l’hystérie, « Le cas Emmy », puf, p. 48. Freud, relatant le cas écrit : « Elle me dit alors, d’un

ton très bourru, qu’il ne faut pas lui demander toujours d’où provient ceci ou cela mais la laisser raconter c

qu’elle a à dire. J’y consens (écrit Freud) et elle poursuivit sans préambule… »

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inexplicable d’autant plus qu’elle est parfois sélective, membres soudainement

paralysés, traces, lettres, chiffres, écritures bizarres à même le corps démontrent

que chez l’humain, un processus physiologique peut être perturbé par autre

chose qu’une cause organique. L’hystérie est paradigmatique de ce que le corps

puisse servir de support matériel aux mots: les mots se corporisent ou sont pris

dans des messages chiffrés qui affectent le corps qui les supporte pour en faire

un usage de jouissance tout-à-fait privé.

C’est que, pour l’être humain, parce qu’il parle, parce qu’il est un être fait de

langage, les fonctions organiques ne se réduisent pas à leur fonctionnement

physiologique. Elles sont en quelque sorte dénaturées par l’estampille, le

« poinçon de maître » du désir de l’Autre au point que la nature même de la

fonction peut s’en trouver modifiée. Ainsi, comme le démontre l’anorexique,

l’oralité ne peut pas se réduire à une fonction alimentaire. Ce qu’il/elle veut

manger, c’est du « rien », afin de préserver une place pour le manque,

démontrant ainsi que le désir, jamais, ne peut se réduire au besoin.

Pour l’être parlant, autre chose que le besoin est mis en jeu dans la fonction

organique, autre chose qui relève de la satisfaction pulsionnelle et du fantasme,

parce que le corps est originairement érogènéisé par les signifiants du désir de

l’Autre. Et c’est pourquoi, n’importe quelle partie du corps peut venir à

s’enflammer, à fonctionner comme un organe sexuel, de même qu’un organe

peut être détourné de sa fonction première et frappé de ce que Freud appelle

alors « des troubles névrotiques ». Il suffit, pour cela, qu’il cristallise sur lui une

jouissance dont la signification échappe au sujet. C’est cette limite du savoir

comme étant une limite interne au symbolique que l’hytérique ne cesse

d’interroger, mais sur un mode particulier. En effet, là où le symbolique fait

défaut, s’ouvre le champ d’une jouissance sans limite qui menace le sujet de

disparaître. C’est ce que, avec Lacan, nous appelons le réel. De ce trou dans la

structure, l’hystérique tient l’Autre pour responsable. Le fantasme hystérique

d’un père toujours traumatique, toujours déjà destitué d’être trop ou pas assez en

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construit la fiction. Cela a pu conduire à l’idée que l’hystérique serait un sujet

qui ment. Dès l’orée de la psychanalyse, Freud a présenté le fantasme

inconscient comme le lieu des productions qui fictionnent un sens à ce qui reste

irréductiblement hors sens pour le sujet, mais l’affecte et l’agit à son insu

comme étant sa vérité ultime. C’est pourquoi il a parlé d’un « proton pseudos »,

hystérique, premier mensonge nécessaire au mi-dire de la vérité, au fait que la

vérité ne rejoindra jamais le réel qu’elle cherche à dire et qui dévoile ainsi un

défaut inhérent à la structure.

Prenons un exemple tiré de ma pratique.

Une jeune femme m’a été adressée par un ophtalmologiste, il y a quelques

années, pour un herpès oculaire récurrent qui résistait à tout traitement médical.

L’herpès était apparu à la suite d’une hospitalisation pour un examen bénin, non

pas de l’œil mais d’un organe bien féminin, celui de la maternité. A cette

occasion, une « mini caméra » avait été introduite dans son corps. Ainsi les

médecins avaient pu constater, de visu, que l’organe de la reproduction ne

comportait pas de lésion ainsi que cela lui avait été bien signifié: « on a rien vu »

dirent-ils. Mais elle était ressortie de l’hôpital avec cet herpès à l’œil.

Demandons-nous : s’agit-il d’un simple déplacement du symptôme qui migre de

l’utérus à l’œil ? La jeune femme constate qu’elle n’est pas plus fertile après

qu’elle ne l’était avant l’examen.

Il s’agit d’une jeune femme qui a très bien réussi du point de vue de sa carrière,

elle occupe un poste à haute responsabilité dans une grande entreprise française

dans laquelle elle dirige un service où « il n’y a que des hommes ». Lors des

réunions de travail elle se retrouve ainsi régulièrement seule femme avec « tous

ces messieurs autour ».

Parlant de cette position particulière d’être femme et chef d’une « meute

d’hommes » selon son terme, elle remarque qu’à l’occasion de ces réunions de

travail, il lui est arrivé régulièrement que son œil aujourd’hui malade soit pris

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d’une sorte de « palpitation », un battement incontrôlable du muscle oculaire,

symptôme qui a précédé l’examen de l’utérus et donc, l’atteinte herpétique.

Elle fait alors un lien entre les deux symptômes en constatant que, depuis

l’hospitalisation, en général, la crise d’herpès survient après ces réunions de

travail pendant lesquelles elle a pu sentir son œil battre sans qu’elle puisse le

contrôler. Cela l’oblige à se séparer de la lentille qu’elle pose chaque matin sur

son œil et à porter de grosses lunettes noires qui lui permettent à la fois d’y voir

clair et en même temps de cacher l’herpès.

Or, le regard, c’est ce dont elle use pour séduire, et notamment, il lui arrive de

s’en servir lors de ces fameuses réunions de travail lorsqu’elle doit imposer une

décision et craint que l’un ou l’autre de ces subalternes ne fasse du chahut pour

la contester.

Si le regard est l’instrument et le lieu de la séduction, l’idée lui est venue que

l’herpès serait la punition d’une tentative de séduction fausse : « le travail ce

n’est pas un lieu pour séduire » dit-elle. Cette trouvaille reste cependant sans

effet sur le symptôme herpétique.

Il y a donc ce battement de l’œil dont elle ne se plaint pas mais sur lequel on

peut s’interroger dès lors qu’elle l’a signalé pour l’articuler à un moment où

mise en difficulté par ceux qu’elle dirige, elle use d’une stratégie bien féminine,

la séduction. Ce que je ne manque pas de faire. Immédiatement elle associe sur

sa myopie parce que la myopie qu’est-ce que c’est pour elle? C’est un œil trop

puissant. Ainsi le battement de l’œil est provoqué par l’investissement de son

œil myope d’une sorte de toute puissance –phallique donc – « mon œil est

surpuissant dit-elle, c’est ce qui m’empêche de voir. » Voilà le sens quelle

donne à sa myopie.

Il y a donc deux symptômes différents. D’une part un fantasme de toute

puissance qui se réalise dans le battement de l’œil qui jouit plein pot lorsqu’elle

séduit, et d’autre part l’herpès qui vient, a contrario, comme une forme de

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castration imposée à cette surpuissance de l’œil en limitant sa jouissance dont

elle nous a dit qu’elle était incontrôlable.

Le moment est venu de parler de la « caméra » car il ne vous a pas échappé que

le symptôme d’empêchement s’est étendu de l’utérus à l’œil à l’occasion de

l’introduction d’une caméra dans son corps.

Il se trouve que le regard comme « organe » de séduction est ce qui la lie

oedipiennement et incestueusement à son père. Car son père avait une caméra à

l’œil si l’on peut dire, dans la mesure où il passait l’essentiel de son temps libre

à photographier sa fille qui posait pour lui, en tutu ou dans toute sorte de

déguisements d’enfant. Petite déjà, elle faisait couple avec lui, tandis que son

frère le faisait avec la mère. La caméra est donc le signifiant de la jouissance

incestueuse avec le père qui est elle-même la cause évidente de son symptôme

d’infertilité. C’est ce qu’on peut déduire de ses différentes articulations. C’est

pourquoi, l’introduction de la caméra dans son corps ne pouvait que renforcer le

symptôme d’infertilité, d’autant plus que les médecins sont restés aveugles, ils

n’ont rien vu.

Il se trouve que la caméra ouvre une autre séquence d’association, cette fois-ci

du côté de la mère.

La mère était une femme autoritaire, elle faisait la loi à la maison y compris pour

le père. Ma patiente était la seule à contester cette loi et à tenter d’y poser une

limite… en défendant son père avec hargne ou en faisant elle même le père. La

mère trouvait que le père aurait mieux fait de s’occuper d’elle, sa femme, que

de photographier sa fille. Elles étaient donc en rivalité, où c’est la fille qui

semblait toujours gagner.

Mais ma patiente associe au regard de la caméra à l’intérieur de son corps un

autre regard tout aussi intrusif auquel elle n’avait pas pu se soustraire et qui était

pour elle la marque d’une défaite cuisante dans le combat incessant qu’elle

menait contre sa mère. Vers 8 ou 9 ans, elle avait eu une cystite forte due à la

masturbation qu’elle disait avoir pratiqué quotidiennement dans son enfance.

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C’est sa mère qui l’avait emmenée chez le médecin et l’avait ensuite soignée.

Elle relate une scène où elle est nue, allongée sur le canapé du salon, les jambes

levées à la verticale tandis que sa mère examine son sexe irrité, le lave et le

crème, devant le père lisant impassiblement son journal. Au moment où elle

rapporte cette scène elle ressent encore l’intrusion de ce regard posé sur son

sexe, inquisiteur de sa jouissance.

Ainsi la caméra n’est pas que le signifiant du désir paternel, il est aussi, par

l’entremise du regard maternel examinant son sexe, celui de la mainmise de la

mère sur sa fille, de ce qu’il faut concéder, en tant que fille, à la jouissance

maternelle.

Voilà pourquoi le symptôme herpétique de castration se forme lorsqu’on lui

introduit une caméra dans le corps pour « voir » la cause de son infertilité. Or,

cette cause n’est pas organique, mais psychique, elle ne se situe pas dans les

organes de la reproduction mais dans cette jouissance incestueuse avec le père à

laquelle elle tient tant et qui se manifeste dans les battements frénétiquement

rythmés de l’œil chaque fois qu’elle exerce sa séduction.

Et c’est ce qui fait que les deux symptômes, celui d’infertilité et celui d’herpès

sont indissociablement liés. Ils sont noués par les mêmes signifiants. Mais l’un,

celui d’infertilité soutient le désir œdipien de ma patiente pour le père. Il réalise

ce désir car il repose sur le syntagme que la jouissance avec lui est possible… à

la condition de rester fille de son père et donc de ne pas avoir d’enfant d’un

homme dans la réalité.

Le symptôme d’herpès, quant à lui, repose sur le syntagme inverse, il dit que

cette jouissance est impossible, elle est interdite par la mère. Il signe l’abdication

de la fille à la loi maternelle chaque fois que la jouissance promise sur l’autre

versant de son fantasme est supposée se produire : ça s’est réalisé puisqu’il y a

eu le battement de l’œil. D’où cette alternance incessante de la position de ma

patiente : être fille du père pour soutenir son désir œdipien au prix de

l’infertilité, ce qui avait pour conséquence que, confrontée à la jouissance

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incestueuse, elle faisait le choix d’en revenir à la mère et à sa loi, au prix de

l’herpès. Ce n’est qu’à sortir de ce cycle infernal qui, in fine, lui servait surtout à

rester fille du père et à ne pas être la femme d’un homme, que les deux

symptômes ont disparu. Elle avait rencontré un homme et commencé à trouver

sa jouissance ailleurs.

J’ajouterai seulement que le fait que les symptômes soient tombés d’eux-mêmes

à un moment où la patiente ne s’en préoccupait plus du tout n’a rien, en soi, de

remarquable et s’il représente un gain thérapeutique de la cure, cela ne doit pas

être confondu avec un succès qui justifierait de mettre un terme à l’analyse.

9 décembre 2019